CIRQUE
Je commence la série Cirque avec la mémoire d’un sentiment d’humilité sous des fresques de patriarches d’églises orthodoxes. Pour explorer le thème du combat entre l’Ombre et la Lumière, et des figures archétypales, sur une scène de cabaret.
Dans une tradition familière de reprise de compositions iconiques de saints bibliques et produits dérivés vendus dans les églises, j’utilise peinture dorée, plumes chimiquement teintes et animaux bien dressés.
Cirque raconte un dialogue tendre entre l’Homme et le Monstre qu’il tentera toujours de dompter. Un énième objet de catharsis, dans un monde où l’Enfer n’est plus à l’extérieur de nous, où le Paradis se vend en pilule, où Buffy contre les vampires devrait être annexée à l’ancien testament.
Voilà notre situation actuelle à l’ours et à moi. Être devenus un point focal dont tout le monde parle mais que personne ne saisit. C’est précisément pour cette raison que je ne cesse de trébucher sur des interprétations réductrices voire triviales, si aimantes soient-elles : parce que nous sommes face à un vide sémantique, à un hors-champ, qui concerne tous les collectifs et qui leur fait peur. D’où l’empressement des uns et des autres pour coller des étiquettes, pour définir, délimiter, donner une forme à l’événement. Ne pas laisser planer l’incertitude à son sujet, c’est le normaliser pour le faire entrer coûte que coûte dans le collectif humain. Et pourtant. L’ours et moi parlons de liminarité, et même si c’est terrifiant, personne n’y changera rien.
Nastassja Martin, Croire aux fauves, éditions Verticales, Paris, 2019
LES RUINES DU PRÉSENT
En hommage au trompe l’oeil et au motif végétal en architecture et en décoration, je commence Les Ruines du présent afin de construire des panoramas intérieurs. Comme une quête de vérité et de beauté dans l’imitation et l’illusion.
S’encadrant les uns les autres, des éléments évoquant différentes civilisations (la feuille de palme, la colonne gréco-romaine, le bâtiment en béton d’après-guerre etc.) deviennent des paysages. Ils représentent un désir d’idéal dans lequel la présence du vivant est uniquement sous-entendue par l’artefact humain.
Une composition spatiale symbolique en plans distincts superposés – le futur à travers le passé, le jour à travers la nuit – suggère l’image d’un présent intégrant une infinité de temps simultanés. Pour ne pas oublier que l’humanité, c’est aussi pousser le même rocher en haut de la même montagne et le regarder rouler, encore, jusqu’en bas.
Mais la Nature est si dépourvue de confort. L’herbe est dure, humide, elle est pleine d’aspérités et d’affreux insectes noirs. Voyons ! le plus humble ouvrier de Morris peut vous faire un siège plus confortable que ne le saurait faire toute la Nature. […] Je ne me plains pas. Si la Nature eût été confortable, l’humanité n’aurait jamais inventé l’architecture et je préfère les maisons au plein air.
Oscar Wilde, Le Déclin du mensonge, extrait du volume Intentions, 1891, traduit de l’anglais par Hugues Rebell pour les éditions Carrington, Paris, 1906
SCÈNES MYSTIQUES
En commençant les Scènes mystiques, je pense aux icônes byzantines – mais aussi aux miniatures mogholes, aux perspectives impossibles de M.C. Escher, aux peintures orientalistes d’Ingres ou à Harry Potter. Comme pour écrire un manifeste.
Autour des personnages, les paysages de la vie intérieure coulent dans les décors intimes de la maison, « église domestique » . Le tapis devient chemin dans l’herbe, les fleurs du papier peint éclosent et la lumière divine s’allume à l’interrupteur.
L’icône représente une double réalité, simultanément terrestre et spirituelle, historique et atemporelle. Elle peut intégrer sur un fond commun, sans distinction, plusieurs scènes ayant eu lieu à des moments différents. Comme une franchise de comics de superhéros, elle existe dans un monde qui fonctionne avec ses lois propres. Elle m’offre un langage.
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